Madame notre Marâtre et le Bouffon de la cour
Versets d’un poème de Castro Alves (1847-1871)
Le Navire Négrier
« Seigneur Dieu des miséreux !
Dites-moi, Seigneur Dieu !
Si c'est de la folie... s'il est vrai
Autant d’horreur devant les cieux? !
Ô mer, pourquoi n’effaces-tu
Avec l'éponge de tes vagues
De ton manteau cette souillure?...
Astres ! nuits ! tempêtes !
Roulez des immensités !
Balayez les mers, ô typhons! »
Il n’y a jamais eu d’abolition de l’esclavage, mais s’il y en a eu, encore à ce jour l’on entend les gémissements assourdissants, graves et aigus, d’un opéra déficitaire. Il n’y en a jamais eu et s’il y en eut, elle naquit oubliée, comme s’elle était née répudiée. Non, il n'y a jamais eu d’abolition de l'esclavage dans le pays des incohérences. Bien au contraire, l'esclavage des temps jadis, cette souillure de notre inétendue histoire, subsiste dans sa version la plus sordide, la plus cannibalesque, dans sa version économico-moderne ; l’aînée du mercantilisme moderne et non moins criminelle.
Il demeure sur le sol du Brésil contemporain, des esclavagistes et des myriades d'esclaves, des seigneurs et des myriades d’engenhos, des châteaux et des myriades d’exploitations agricoles, des palais et les myriades de bidonvilles, attendu que les abolitionnistes ne s’insurgent plus; peut-être par commodité, peut-être par prévarication, peut-être par pénurie de droiture.
Il y a un peuple qui succombe sous les pattes d'un pouvoir politico-économique oligarchique qui le rabaisse impunément et l’humilie sans relâche. C'est aussi un peuple désavoué par un certain peuple, son propre peuple dans son expression la plus macabre, soit ces petits-bourgeois, cette classe moyenne tristement célèbre, souvent diplômée et, presque dans son intégralité, profondément inculte, affectée, fratricide et minoritaire. Catin des colonels latifundiaires, catin des capitaines de l’industrie, catin des requins du commerce, prostituée vicieuse des rejetons de la République.
De cette racaille corrompue font partie un bon nombre de leaders d'opinion, qui, à leur tour et à travers les médias, expriment leurs concepts politico-sophistiques, s’emparant ainsi d’une multitude d’autres crétins parfumés en une marée infecte d’inversions de valeurs et de transfert de responsabilités. Ces leaders d’opinion louent, sans l’ombre d’un décorum, la méritocratie au sein d'une nation asphyxiée par une diabolique fracture sociale et, de surcroît, exigent de ces esclaves modernes, à court de pain et d'eau potable, s’endurcissant dans le grand slave quarter brésilien, des efforts surhumains.
Ces leaders irresponsables requièrent, cyniquement, une conduite considérée digne de la part de ceux à qui la dignité fut soustraite, donc, de ces millions et millions de familles intégrées d'une certaine manière dans ce ballet sinistre; puisque reléguées à leur propre infortune, en désespérance, privées d’assainissement de base, d’assistance médicale décente et de la pseudo-instruction hélas institutionnalisée, densément précaire, mais qui tisse lamentablement et de façon injustifiable la fierté de leurs prétentieux compatriotes, esclavagistes adeptes et promoteurs de la distinction sociale; ceux qui ont une haute opinion d’eux-mêmes, qui se jugent éclairés, cependant ne sont plus que de médiocres marins, prostitués de la patricienne flotte nationale.
« Et se rit l’orchestre ironique, strident...
Et de la ronde fantastique le serpent
Fait des folles spirales...
Si le vieux anhèle, s’il dérape sur le sol,
Des cris sont entendus, le fouet claque.
Et ils s’envolent de plus en plus..."
« Cependant le capitaine envoie la manœuvre,
Et puis, dévisageant le ciel qui se déroule,
Si pur en dessus de la mer,
Dit de la fumée entre les denses brouillards :
Secouez sec le fouet, ô marins !
Faites-les encore danser!... "
Dans le contenu du texte ignominieux, de composition jaborique, rien ne se trouve qui puisse surprendre certains prudents et sages fils de cette terre; vu que maître Jaboro exprime ce qui lui est propre. S’exonérant de toute implication relative à l’entropie sociale brésilienne, dont les symptômes ont été par lui-même signalés dans l’un de ses articles qui nous insultent; Le maître n’épargna pas d’énergie à dissimuler les causes des infirmités qui lui-même ne cesse pas de contribuer à engendrer, mais se délecta plutôt à dédaigner leurs effets inéluctables, à vouloir ignorer leurs origines ploutocratiques, à dénoncer leurs résultats abracadabrants et via des subterfuges, étant donné qu’il se veut maître, défigura de manière insolente l’équation politico-sociale brésilienne.
S’accoutrant du manteau d'une répugnante casuistique, le représentant magnus de la présomptueuse classe moyenne brésilienne, émergea de la profondeur de son propre ego, et alors, équipé d’un stylo et de papier, commença à esquisser l'essence de ses ambitions personnelles. Travesti en aveugle, ou plutôt, frappé de cécité opportuniste, maître Jaboro feignit de ne pas voir les nombreuses communautés concitoyennes et faméliques, celles qui ont voté pour quelques dizaines de reais supplémentaires dans la poche; alors que si, dans le porte-monnaie de quelques-uns, ces misérables reais ne font pas la moindre différence, à l'estomac d'un grand nombre d’autres ils constituent un élixir qui rachète.
L’aveugle improvisé entrevit, par commodité, les représailles perpétrées par certains incarcérés ; toutefois, les conditions dégradantes de détention et le traitement sous-humain qui leur sont infligés ce sont des aspects invisibles aux cinquante yeux endormis et aux cinquante autres yeux évasifs de l’Argos Panoptès brésilien.
Cet aveugle vit le conformisme, cependant, l'immobilisme imposé par le pouvoir politique ne lui est pas perceptible. Il vit la subornation, la fraude, la duperie, le policier soudoyé; cependant, les revenus des policiers brésiliens, parce qu’ils sont certainement très petits, lui furent obstrués à la vision, comme le furent pour la vision de l’ONU les Pygmées rwandais, dont le génocide fut, par cette organisation elle-même, ignoré.
Á travers sa rétine psychologique cet aveugle perçut des rôdeurs dans toutes les directions, mais lui furent inaperçus les petits et les grands sacripants, vendeurs aux feux de circulation, les cireurs de chaussures, les marchands ambulants, les contrebandiers occasionnels, les odd job men d’après crépuscules et de week-ends, les camelots, les couturières aux temps vacants, les femmes de ménage, les boniches, les coiffeuses à domicile, les manucures à domicile et des essaims d’innombrables travailleurs déclarés, qui survivent année après année dans la pratique exécrable et traditionnelle de la vente des vacances dans le pays du chômage, dans le pays du sous-emploi, dans le pays du salaire de famine. Et le pharisien aveugle s’autorise encore à émettre ses jugements de valeur.
Á force de vouloir être aveugle, la cécité devient métastasique, corrompt les autres quatre sens et l'aveugle perd les yeux de la raison. Tel que sous l’emprise d’un puissant hallucinogène, cet aveugle vit des populations tout entières confinées dans les favelas, certainement par option, par conviction, par idéologie, malgré les nombreuses autres alternatives résidentielles existantes et potentielles, dirait l’aveugle. Comme pressenti, le voyage psychédélique de cet aveugle fut interrompu au chapitre antérieur à celui concernant les prix des loyers pratiqués dans les tumultueuses conurbations brésiliennes; antérieur à celui qui déplore la promiscuité de plusieurs générations agglutinées sous le même toit et notamment à celui qui dénonce la spéculation immobilière, et cætera.
« Prise dans les maillons d’une seule chaîne,
La foule affamée titube
Et y pleure et y danse !
L’un délire de rage et l’autre déraisonne,
Un autre, qui de martyres s’abrutit,
En chantant gémit et rit ! “
Subjugué encore par les préceptes de son aveugle conscience, cet aveugle, gigolo du système, vit le peuple brésilien négliger ses obligations et, simultanément, parvint à le voir dans la jouissance de ses droits, en plénitude de satisfaction, progressant dans un Brésil triomphant État de droit, donc, qui garantit et protège les droits fondamentaux et politiques, sociaux et économiques de chaque citoyen. « Le droit à la vie, à l'égalité, à la sécurité personnelle, à la sécurité sociale, à l'égalité devant la loi, à la présomption d'innocence, à la protection de l'État, à la propriété, à la sécurité, à une existence en accord avec la dignité humaine, au repos et aux loisirs, à un niveau de vie suffisant pour assurer la santé, la nourriture, les vêtements, au logement, à l’assistance médicale, à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, les droits de veuvage, de vieillesse, le droit à la l’instruction gratuite et l’accès à l'enseignement supérieur en pleine égalité ». Extrait de la déclaration universelle des droits de l'homme
Cet aveugle impénitent vit l'anarchie; toutefois, il ne vit pas qu'elle est dérivée, conçue, instaurée, tolérée et nourrie; juste parce qu’il refuse de voir ses auteurs et ses mainteneurs. De Deodoro da Fonseca à Luis Inácio Lula da Silva, seul ce dernier, le roi de son époque, a été vu par cet aveugle invétéré. Et GeraldoVandré écrivit au sujet d’un Royaume qui n'a pas de roi. La détention du pouvoir se situe quelque part au-dessus de la capitale politique brésilienne.
En un accès de vision périscopique cet aveugle vit des ducs, des comtes, des archiducs et des seigneurs féodaux, leurs propres guides, qu’il sert fidèlement. Les ministères inexistants, l’aveugle les vit tous, à l’exception de celui de la justice. Il vit aussi le taux de croissance très faible, de facto obtenu par l'acharnement de nombreuses personnes mal intentionnées. Ensuite, l’aveugle revint à son état de cécité rusée, exactement un instant avant de pouvoir contempler, certainement consterné, le partage de bénéfices de cette croissance parmi quelques privilégiés. L’agresseur est souvent celui qui a subi, le premier, l’agression, dans une succession de beaucoup d'autres, l’agresseur est celui qui a subi une grosse agression, une indicible agression, et, qui demeure prostré, proscrit à toute délivrance.
Après avoir été ressuscité d'un durable et opportun état d’hibernation intellectuelle, cet aveugle se vit soudainement sous la même gestion pérenne et élitiste de l'histoire brésilienne, mais cette fois-ci, la présidence est issue du parti du travail. Maintenant clairvoyant, l’ aveugle s’indigne et démarre brusquement sa campagne politique; cupide, il se vend au leader de la désinformation et du public nationaux, et, crachote son poison ophidien contre tout ce qui est appelé fragile, contre tout ce qui est appelé faible, contre tout ce qui est appelé vulnérable, contre tout ce qui est appelé peuple, contre tout ce qui est appelé outcast, et, ensuite, en qualité d’honorable petit de mammouth, s’assied licencieusement sur tout ce qui est appelé impuissant, sur tout ce qui est appelé défavorisé, sur tout ce qui est appelé micron, sur tout ce qui est appelé lilliputien et, enfin, jouit intensément.
Au cours des interminables années de sa méprisante léthargie, l’aveugle des aveugles, l’aveugle hors concours, fit la sourde oreille au tollé des sous-alimentés, à l’adversité des délaissés, au désagrément des prolétaires, à la détresse des Sans-Terre, aux privations des réfugiés ruraux agglutinés dans les taudis et bidonvilles des irrespirables mégalopoles et, à l’accablement des légions d’exclus sociaux.
« Seigneur Dieu des malheureux !
Dites-moi Seigneur Dieu,
Si je délire… ou s'il est vrai
Tant d’horreur devant les cieux? !
Ô mer, pourquoi n’effaces-tu
Avec l'éponge de tes vagues
De ton manteau cette souillure?...
Astres ! nuits ! tempêtes !
Roulez des immensités !
Balayez les mers, ô typhons! »
Cet aveugle réactionnaire, l'incarnation des idéaux aristocratiques, garda le silence devant les tyrans, devant la suprématie aryenne, devant le racisme quasi légiféré, devant la ségrégation raciale et devant l’autorité ecclésiastique universelle et romaine. Cet aveugle se tut, également, devant le terrorisme d'État, devant les forces armées; organisme répresseur au service des barons du capitalisme sauvage, devant la camorra des offices notariaux, concession fédérale et mine de diamants; cet aveugle se tut face à l'injustice et face à la stratification sociale, face au trafic d'influence et face à l'économie de marché, inspirée de l'archétype nord-américain; ferment de précarités.
Cet aveugle ne vit pas, dans sa dimension intellectualisée, le prédécesseur coroneliste du dernier président l’ex-syndicaliste, sortir de son haut-de-forme doré, de prestidigitateur, la reproduction d'autres chefs-d’œuvre internationaux de fiction économique. E.g. Le Plan Réal, plan perfide, qui continue d’engendrer une progressive et prévisible récession économique dans le pays des contrefaçons que le prestidigitateur homicide feignit de gouverner. Cette récession se fait tangible et peut être vérifiée aux travers de ses symptômes les premiers, le chômage et ipso facto la pauvreté galopante.
L’aveugle servile ne vit pas, que pour sauvegarder ce plan irréaliste, il s’avéra nécessaire d’injecter des capitaux, et donc, d’avoir recours au capital loué. Il fut indispensable de réitérer des emprunts auprès du FMI, solidifiant ainsi notre dépendance externe. Une monnaie robuste est l’incontournable reflet d'une économie saine.
Pendant les années de présidence du surnommé bourreau du peuple, le déjà mentionné prédécesseur coroneliste de l’ex-syndicaliste, la politique économie du pays resta odieusement grand ouverte aux ingérences et aux capitaux étrangers, cependant, l’illusionniste majeur, deux fois élut president, jugea cette immoralité encore insuffisante et fit approuver plusieurs amendements à la Constitution nationale, avec l’intention néolibérale et homicide, de provoquer une avalanche de multinationales étrangères en terres brésiliennes; puisque le gage de la liberté nous avons réussi à conquérir avec bras forts. Mais l’aveugle se trouva lié aux chaînes de sa complicité indolente. Et, le boucher du peuple, poursuivit impunément son attaque sanglante.
Parrainé par Washington et par d’autres potentats propriétaires de la maudite et fluctuante perle bleue, plébiscité par la classe présomptueuse déjà mentionnée, endoctrinée et non politisée, le bourreau brésilien osa favoriser certains groupes financiers dans le processus de privatisation des entreprises d'État touchant particulièrement le domaine des autoroutes, des banques, de la téléphonie brésilienne etc.
Des cartels, des monopoles, des oligopoles, des holdings, une vrai maladie contagieuse, et, le prestige du riche latifundiaire surabondaient parmi les crédules émergents, tributaires des caciques de la République. Et, pourtant, l’aveugle mercenaire, plongé dans un état de coma profond, ne vit rien, n’entendit rien, ne sentit rien et, par voie de conséquence, ne réagit pas. Aujourd'hui libéré, réveillé et mordant, il vitupère les masses affamées qui votèrent pour une poignée de pain, un panier familial, les baptisant d’oisifs et d’imbéciles.
L'aveugle dévergondé, après avoir recouvré la vue, déversa toutes ses immondices verbales ; orienté peut-être par sa mémoire sélective, l’aveugle découvrit alors un gouvernement plus ignoble que tous les précédents, c’est pourquoi l’aveugle mortifia le peuple brésilien par le biais des adjectifs dépréciatifs et, dépourvu de toute éthique, il soutint délibérément que le peuple brésilien n’est pas un peuple solidaire. Méditait-il, éventuellement, à ses coreligionnaires moyens, à ce peuple illettré et égocentrique qui méprise et sabote lorsqu’il discrimine et lorsqu’il vote, le bien-être de son propre peuple, qu’il dédaigne le qualifiant péjorativement de petites gens. Là où il n’y a pas de sécurité nationale il ne peut qu’y avoir une solidarité populaire.
Il n'y a jamais eu d’abolition de l’esclavage au pays des antiabolitionnistes, et, si Dieu était brésilien, il devrait cohabiter avec des démons, parce que le dieu de la géhenne brésilienne est le diable déguisé en classe moyenne.
Le peuple brésilien est-il libre ? Est-il affranchi ? Mensonge ! Plût à Dieu que notre aveugle fût un aveugle crédible, il aurait incité le peuple au boycott aux urnes et au soulèvement populaire.
Ô aveugle démagogue ! Babylone la grande prostituée, qui a forniqué avec les rois de la terre, avec les proxénètes aux cols blancs, dans la plus grande pornochanchada de tous les temps. Ta nudité sera châtiée.
« Fatalité atroce qui écrase l’esprit !
Éteint en ce moment le brigantin crasseux
Le sentier que Colomb a ouvert sur les vagues,
Comme l’iris dans le profond pélagique !
Mais l’infamie est excessive!...De la contrée éthérée
Levez-vous, héros du nouveau monde !
Andrada ! Arrache ce pavillon des airs !
Colomb ! Ferme la porte de tes mers ! »
Il Babbuino (Luiz MacPontes)